Vous pouvez télécharger notre rapport sur l’accessibilité des autobus de la STM pour les les personnes utilisant une aide à la mobilité en format PDF ou en format Word !
20h00. Juillet bat son plein. Je reviens vivre à Montréal après un an d’études à Toronto. Les rues que j’ai désertées depuis des mois me sont tout autant familières. Les mêmes trous dans les trottoirs. Saint-Laurent, Saint-Dominique, Hôtel-de-Ville, Sanguinet, Saint-Denis. Berri. Ça me fait du bien. Je suis à la maison. Je me rends à un arrêt d’autobus, là où Maisonneuve rencontre Saint-Denis. Montréal est attirante et je veux lui sauter dans les bras, lui dire qu’elle m’a manquée. Plus que je pensais. L’autobus arrive. Le chauffeur tente de déployer la rampe d’accès, mais ça ne fonctionne pas. Il essaie plusieurs fois, mais rien ne se passe. Le chauffeur abandonne et sans un mot reprend sa route. Au jour 1 de mon retour à Montréal, la STM me laisse toute seule sur le trottoir sans gêne. Je me déplace en fauteuil roulant.
Ce scénario, je le vis en boucle depuis neuf ans. À force de voir la même scène, on se lasse. Pendant des années, je me suis endormie en silence devant cette exclusion que j’ai longtemps crue normale. J’ai finalement rencontré d’autres personnes qui, comme moi, s’étaient lassées. Nos histoires étaient les mêmes. Les mêmes rampes d’accès non fonctionnelles. Les mêmes chauffeurs exaspérés de nous voir à l’arrêt d’autobus. Les mêmes propos discriminatoires.
Nous avons d’abord tenté d’obtenir de l’information sur ce que nous vivions. Nous n’avons rien trouvé. La STM affirme que 150 lignes d’autobus sur 209 sont accessibles. C’est tout. Pas un mot sur la formation des chauffeurs. Pas un mot sur les problèmes des rampes d’accès. Pourtant la situation est grave. Nombreuses sont les personnes dites à mobilité réduite qui ne s’aventurent pas à bord des autobus à cause du risque que l’on les laisse sur le trottoir.
Nous avons donc décidé de mener notre propre enquête le temps d’une journée. Le 22 août dernier, six personnes se déplaçant en fauteuil roulant ou en triporteur ont évalué l’accessibilité de soixante six autobus sur vingt-deux lignes. Nous aurions en principe pu monter à bord de 95% de ces autobus puisqu’ils étaient munis d’une rampe d’accès. Toutefois, nous avons rencontré de nombreux obstacles et encaissé plusieurs refus. Nous n’avons pu monter à bord de 33% des autobus pourtant accessibles et avons rencontré des difficultés majeures à bord de 30% des autobus. Nous avons pu prendre l’autobus comme des citoyens à part entière que dans 36% des cas. Vous pouvez consulter tous les résultats en téléchargeant notre rapport sur l’accessibilité des autobus de la STM pour les usagers utilisant une aide à la mobilité en format PDF ou en version WORD.
Les difficultés majeures rencontrées sont très variées. Plusieurs rampes ont pris plus de dix minutes avant de fonctionner. Certaines rampes sont carrément restées coincées, forçant ainsi tous les passagers à évacuer l’autobus et à attendre le suivant. Une personne s’est même vue refuser l’accès, sous prétexte qu’elle utilisait un triporteur. Plusieurs personnes ont raté leur arrêt puisque les chauffeurs n’ont pas porté attention à la sonnette distinctive qui indique qu’une personne ayant besoin de la rampe d’accès souhaite descendre.
À la fin de la journée, nous nous sommes donné rendez-vous à l’Hôtel de Ville de Montréal. Nous avons alors été rejoint par des membres de l’Association québécoise des étudiants ayant des incapacités au post-secondaire. L’occasion était belle. Le Conseil de Ville se réunissait pour la première fois depuis les vacances estivales. Nous avons donc profité de la période de questions des citoyens pour informer l’administration Tremblay des problèmes majeurs à l’accessibilité réelle des autobus de la STM. Nous avons demandé au Maire si une enquête pouvait être menée afin de mettre en place les mesures nécessaires pour que toute personne, sans égard à ses habiletés physiques, ait accès aux autobus publics.
Marvin Rotrand, leader du Conseil et vice-président de la STM a d’abord répondu: »la courte réponse est oui ». Nous comprenons donc que la Ville va enquêter sur le problème d’accessibilité des autobus. Victoire? Le »oui » court et confus de M. Rotrand nous permet de douter de sa compréhension de la question qui avait été posée.
Ce qui a retenu notre attention ce sont les autres éléments de réponse donnée par M. Rotrand. Il a répété à maintes reprises que la STM était la seule société de transport du Québec à offrir des autobus accessibles, comme si cela devait être une source de fierté. Évidemment, M. Rotrand n’a pas cru bon de mentionner que la grande majorité des grandes métropoles occidentales (pour ne dire toutes) offrent également des autobus publics accessibles. Lorsque la STM se compare en termes d’efficacité et de qualité du service, elle aime bien se comparer à Toronto, Boston et San Francisco. Toutefois, curieusement, lorsqu’il est temps de parler d’accessibilité elle se compare avec Québec, Laval et Sherbrooke.
M. Rotrand a également affirmé qu’il n’existait aucune loi au Québec obligeant la STM à se doter d’autobus accessibles à tous. Pourtant, depuis 1978, la Charte québécoise des droits de la personne stipule clairement que nul ne peut être discriminé en fonction de l’handicap ou du moyen utilisé pour pallier à l’handicap. De plus, la loi 56 sur l’intégration des personnes handicapées adoptée en 1978 oblige les sociétés de transport à établir un plan afin d’assurer le transport des personnes handicapées sur son territoire. L’article 72, qui empêchait une personne d’être reconnue comme vivant de la discrimination si les réseaux publics ne lui étaient pas accessibles, a été abrogée en 2004. Les plans de développement soumis par les sociétés de transport québécoises doivent donc comprendre des éléments menant à une accessibilité de leurs services réguliers.
Nous avons été choqués d’entendre M. Rotrand affirmer que la STM avait fait le choix politique d’investir des sommes considérables afin de rendre ses autobus accessibles! Acheter un autobus non accessible au 21ème siècle c’est un peu comme acheter une voiture neuve sans direction assistée. C’est impensable et ridicule.
Finalement, M. Rotrand a déclaré que les rampes d’accès étaient vérifiées. Tous les chauffeurs et les chefs d’opération à qui nous avons parlé nous ont pourtant confirmé que les rampes d’accès n’étaient pas entretenues ni même vérifiées sur une base régulière. Elles le seraient une fois par année soit à la fin de l’hiver. Sans avoir de chiffres, M. Rotrand a également minimisé le manque de fiabilité des autobus en affirmant que les rampes d’accès des autobus rencontraient beaucoup de problèmes pendant l’hiver. Le 22 août 2011, 19 rampes d’accès sur 66 n’ont pas pu être activées, privant ainsi des personnes du droit au transport en commun. Il faut croire qu’à Montréal l’hiver dure 365 jours par année.
Les résultats de l’enquête du RAPLIQ sont sans équivoque. La STM n’offre pas un traitement égal et juste aux personnes utilisant un fauteuil roulant ou un triporteur. Bien que les nouveaux autobus soient dotés de rampes d’accès beaucoup plus fiables, la STM a le devoir d’accorder une attention particulière aux rampes d’accès présentant des difficultés techniques et d’assurer leur bon fonctionnement. En négligeant l’entretien des rampes d’accès et la formation aux chauffeurs, la STM offre un service de deuxième classe à un groupe particulier de personnes pour lequel l’accès aux autobus est primordial, compte tenu que l’accès au métro demeure pratiquement impossible et que le transport adapté est un système archaïque, isolant ses utilisateurs tout en brimant leurs droits les plus fondamentaux. Les correctifs nécessaires afin de s’assurer que les autobus accessibles soient réellement accessibles ne sont pas excessifs. Il s’agit simplement d’user de gros bon sens.
À chaque jour, des personnes sont laissées sur le trottoir dans l’inquiétude de ne pas savoir si elles pourront se rendre où elles ont besoin d’aller. Jeudi dernier, un Ingénieur junior et étudiant au doctorat n’a pas pu monter à bord de cinq autobus alors qu’il tentait de se rendre à son premier cours à McGill en matinée, puis d’aller enseigner à la Polytechnique en après-midi.
Les autobus de la STM offrent un service public. M. Rotrand affirme que la STM ne peut pas garantir l’accès aux personnes se déplaçant en fauteuil roulant ou en triporteur. L’administration Tremblay doit réagir, sans quoi nous pourrons affirmer qu’elle cautionne une citoyenneté à deux vitesses sous des motifs qui sont, de surcroît, déraisonnables.